Chine : une vie sous surveillance

Chaque matin, tel un rituel, je clique sur le petit écran de mon téléphone « intelligent ». Jusqu'à voir apparaître ma photo. Encadrée de vert, cela signifie que je suis bien portant, de « condition normale ». Un petit code électronique composé d'étranges lignes noires, mi idéogrammatique mi informatique, décide de mon sort. Mon nouveau passeport digital. Depuis plusieurs semaines, ma vie a? Pe?kin se de?cline en trois couleurs : vert, jaune, rouge. Pour me rendre dans une boutique, un bureau ou me?me chez le coiffeur, je dois de?gainer mon te?le?phone portable et scanner un QR code. Le te?le?phone intelligent, le smartphone, quel meilleur auxiliaire de police que cette petite boi?te qui ne me quitte jamais ? Mais ce QR code ne renvoie pas, comme en Europe, a? une simple application de trac?age sur une base volontaire, il est la marque d'un re?gime qui a mis toutes ses forces dans le contro?le de sa population. Je peste depuis plusieurs mois contre ce fil à la patte, cet oeil digital qui me surveille en permanence. Aujourd'hui, j'en viens à le supplier de ne pas se tromper d'un mètre dans ses calculs de géolocalisation. « Je suis vert bon sang », je n'ai pas côtoyé de malades, je ne suis pas allé à Wuhan, ni au marché de Fengtai. Je n'ai mangé ni pangolin indonésien, ni saumon norvégien. « Je suis vert, vous dis-je ». L'oeil digital me fixe mais il ne répond pas. Il me calcule. « Ok, cette fois tu peux passer... » Depuis que l'épidémie fait rage, Pékin s'est enfoncée dans une paranoïa sanitaire et sécuritaire. La police politique a tiré une nouvelle le?gitimite? du Covid?19. Big Brother s'est de?guise? en chasseur de virus. Pékin est devenue une prison électronique. En Chine, il n'y a eu ni débat sur le respect de la vie privée, ni choix dans l'utilisation des applications de traçage. Un milliard de personnes ont dû télécharger cette application. Le « kit de santé », ou plutôt « kit de vie ». Impossible d'y échapper. La Chine a fermé ses frontières et ses filets informatiques sur nous. Nous sommes ses « prisonniers digitaux ». Après le système de notation sociale, la mise en place du traçage systématique de la population et des comités de quartiers, ces mouchards de la police, ont achevé de faire entrer la Chine dans l'ère de la surveillance généralisée. Ce petit livre est une plongée à l'intérieur de la Chine ultra-contemporaine, sous Covid, sous vide, a-t-on envie de dire. Il raconte la fulgurante accélération de l'Histoire, la puissance de ces outils orwelliens qui permet à la police politique de se déguiser en chasseur de virus, le nouveau pallier franchi par cet État totalitaire vers la société de surveillance.